non à la cigarette
Il a la démarche de quelqu'un qui court tout le temps. Une démarche particulière, les bras agités, le pas à la fois hésitant et pressé, désordonné, comme s'il ne savait jamais quelle direction prendre. Même ses yeux semblent ne pas savoir où se poser, et pourtant ils sont grands ouverts, mais ne regardent pas vraiment. Il semble perdu et court quand même. Comme si l'agitation perpétuelle dans laquelle il se maintient lui permettait de se sentir vivant et insaisissable.
Même lorsqu'il est assis, il s'agite, remue, se lève, cherche une raison à son déplacement, ne trouve pas, se rassied, se rappelle soudain et court prendre ce qu'il cherchait … un rien, un détail … Puis, lorsqu'il n'a plus d'autre possibilité, il commence le ballet des cigarettes. Cela lui donne l'occasion de se relever, d'arpenter la pièce, cigarette à la main, à la recherche du briquet qui pourtant était avec le paquet. Une fois les deux réunis, il marche encore quelques pas, puis s'arrête, debout, le corps penché vers la flamme. A cet instant, il est encore dans l'action, mais statique, observable, admirable … Il se rassied et parle, cherche un sujet de conversation. Quelque chose à dire plutôt que le silence, plutôt que de laisser la place à l'innéfable… Là, ce sont les mots qui trébuchent, s'agitent … Les phrases sont hachées, comme si la pensée allait plus vite que la parole. Les mots ne sortent pas comme il le voudrait car il parle pour ne pas dire vraiment. On pourrait le croire hésitant, timide, et pourtant … lorsqu'il a enfin trouvé le sujet qui le sécurise, le voilà orateur brillant. Le geste se fait ample, accompagne, souligne ses phrases … Il se laisse découvrir enfin. A tel point qu'on ne peut que l'écouter, le regarder, étonné sans l'être vraiment de cette transformation. Ses yeux vous regardent enfin, il s'impose et prend sa mesure … Et soudain, tout change encore. La main passe sur le visage, revient souvent sur la bouche, les gestes sont nerveux et les mots se perdent de nouveau. Que s'est-il passé ? Il allume une autre cigarette, avale les bouffées de fumée avec précipitation et sans plaisir. A peine arrivé à la moitié, il l'écrase … pour en reprendre une autre quelques minutes après.
Pourquoi ne finit-il jamais ses cigarettes ? "Parce qu'il n'aime pas quand ç'est trop chaud".
Est-ce aussi la raison pour laquelle il semble si égaré, hésitant et pressé ? Il aime la vie, mais il n'est pas dans la sienne. Et lorsqu'il s'approche trop de la vie qui lui correspondrait, il s'en éloigne, l'écrase d'un geste nerveux comme une cigarette qui pourrait lui brûler les doigts … pour y revenir encore.
C'est un homme qui nous attache et nous lie tout doucement, sans faire de bruit, par petites touches légères, sans avoir l'air de rien. En est-il seulement conscient ? Comme ce chat noir et blanc, que j'avais enfant, qui semblait ne pas aimer les caresses et qui pourtant venait se frotter contre mes mains d'un mouvement brusque d'abord, puis s'abandonnait quelques instants sur mes genoux pour mieux repartir ensuite. Il avait un caractère de chat. Indépendant mais attachant sans qu'on y prenne garde. Attentif sans en avoir l'air. Un petit chat doux-amer que j'avais appelé Nestor à cause de son col blanc. Et qui, lorsqu'il est parti une dernière fois, m'a laissée seule avec le vide d'une absence que je n'avais pas prévue. Le vide d'une absence qui m'a fait regretter les caresses que je me suis retenue de lui donner. Le vide d'une absence qui, pour la première fois, m'a fait comprendre qu'on ne dit jamais assez notre attachement aux autres. Parfois par peur du rejet, parfois par pudeur, souvent parce qu'on se trouve bête de s'attacher à quelqu'un qui ne semble pas voir votre main qui se tend et le sourire qui l'accompagne. Alors, on allume une cigarette, on en tire quelques bouffées, et on la regarde se consumer lentement, comme une
vie qui aurait pu être et qu'on regarde passer
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